La solitude de Modiano et Perec

Mardi 03 Novembre 2020-00:00:00
' Ayman Elghandour

Malgré sa naissance en France, le petit Modiano n’est qu’un produit métissé d’une mère belge et d’un père oriental d’origine juive. Celui-ci est un homme énigmatique ayant l’habitude d’émigrer même s’il abandonne ses deux enfants. Pendant les années de guerre, il a profité du marché noir, réalisant des revenus illicites, il a collaboré avec le régime nazi et la Gestapo. A son tour, la mère a consacré sa vie au théâtre, jouant de petits rôles. Sa carrière l’a obligée à confier ses deux fils à des voisins. Dans ce climat, Modiano était isolé. Mais la solitude s’est achevée avec le divorce de sa mère et la mort de Rudy, son petit frère, qui représentait pour lui la seule attache familiale. Il a ressenti un deuil et un déchirement. Ce ressentiment est renforcé par l’instabilité et les déplacements de sa famille. Celle-ci a habité plusieurs appartements, mais dans le même immeuble, au 15 quai de Conti où Modiano a passé son enfance. Aussi a-t-il fréquenté de nombreux pensionnats et établissements jusqu’à son inscription à la faculté des Lettres de la Sorbonne qui « n’était qu’un moyen utilisé pour avoir un sursis militaire ». Son refus d’être un soldat dans l’armée française est le fruit de ses déplacements. Ces derniers ont concrétisé son exotisme et son apatridie parmi des gens dont il ne partage que la langue. La ville natale de Modiano est aussi celle de Perec ; il s’agit de Paris qui a témoigné sa naissance, le 7 mars 1936. Ses parents sont juifs d’origine polonaise. Après leur émigration en France, ils ont francisé leurs prénoms pour ne pas être arrêtés par les forces nazies : La mère Cyrla devient Cécile et le père Isie porte le nom d’Icek. Ils ont habité au no 24 de la rue Vilin. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate, Icek s’engage dans l’armée pour défendre la France. Il meurt le 16 juin 1940 et est enterré au cimetière militaire de Nogent-sur-Seine. Deux ans après, la police arrête Cyrla et l’a déporte à Auschwitz sans laisser aucune trace. C’est aussi le sort d’autres membres de la famille : sa sœur Fanny, son père Aron Szulewicz et son beau-père David Perec. Personne n’est rentré. Cette situation tragique de Georges Perec a poussé Derek Schilling à se demander : « Son arbre familial n’aura-t-il été transplanté, de Pologne jusque sur le sol de la France républicaine, que pour être abattu, détaillé et offert au feu ». Ainsi le petit Georges a vécu des événements terribles qui ont ultérieurement influencé son existence et ses écritures. Avant d’atteindre ses six ans, il perd ses parents. Perec était pensionnaire dans un internat catholique où il a été baptisé. Dès 1945, sa vie est marquée par un malaise, malgré son séjour chez sa tante. Celle-ci l’a confié à une psychothérapeute, Françoise Dolto. Ce malaise ne l’a pas empêché de faire ses études au lycée Claude Bernard, au collège Geoffroy-SaintHilaire d’Estampes, à la Sorbonne où il s’est inscrit en histoire. Contrairement à Modiano le déserteur, il est entré au service militaire, s’engageant aux parachutistes. Son entrée à l’Oulipo en 1966 est un tournant dans sa production littéraire. Frappé d’un cancer des bronches, il meurt en 1982. Ce résumé autobiographique nous révèlé la solitude dans laquelle se trouvaient Modiano et Perec. L’un a perdu son frère et son enfance se distinguait par l’absence totale de ses parents. L’autre était privé de son père tué sur le front par les troupes d’Hitler, et de sa mère déportée à Auschwitz. Leur appartenance à l’identité juive n’a cessé de leur apporter la souffrance.